Intérêt des traitements anti-androgèniques dans les cancers du sein triples négatifs
Pr Hervé Bonnefoi, Institut Bergonié et Université de Bordeaux, Bordeaux
Introduction
Plusieurs études par puce d'expression d'ARN ont permis d'identifier un nouveau sous-type
de cancer du sein caractérisé par l'expression du récepteur aux androgènes (RA), l'absence
d'expression du récepteur aux estrogènes α (RE) et l'expression paradoxale de nombreux
gènes classiquement exprimés dans les cancers luminaux RE-positifs
. En 2005, nous
avons nommé ce sous-type "cancer moléculaire apocrine" du fait de l'expression de
nombreux gènes liés à l'activation de la voie de signalisation des androgènes et de la
présence de quelques caractéristiques morphologiques des cancers apocrines
. La moitié
de ces cancers ne présente pas d'amplification de l'oncogène HER2 et sont ainsi classés
dans le groupe hétérogène des cancers du sein triple-négatifs. Nous limiterons notre
présentation à l'étude des cancers moléculaires apocrines HER2-négatifs.
Fréquence et pronostic
Dans une étude récente de 587 cancers du sein triples négatifs par puce d'expression
d'ARN, la fréquence des cancers moléculaires apocrines en utilisant une définition par puce
d'expression est de 11%
. Dans une large série utilisant une définition
immunohistochimique (RE, RP, HER2 négatifs et RA positif), la fréquence des cancers
moléculaires apocrines est de 36% des cancers du sein triples négatifs
. En France, prés
de 50'000 nouveaux cancers du sein sont diagnostiqués chaque année
dont 15% sont
triples négatifs. Ainsi on peut estimer que chaque année en France 1'000 nouveaux cas de
cancers moléculaires apocrines sont diagnostiqués si on utilise la définition par puce
d'expression ou 3'000 avec la définition immunohistochimique (IHC). Plus du tiers des
patientes rechutent dans les 5 ans que l'on identifie les cancers moléculaires par puces
d'expression ou par immunohistochimie
.
Etudes cliniques
Un bénéfice clinique encourageant a été observé dans trois études cliniques prospectives
conduites auprès de patientes présentant des cancers du sein métastatiques moléculaires
apocrines traitées avec des traitements bloquant les récepteurs ou la synthèse des
androgènes
. On soulignera l'existence de patientes "longues répondeuses". Ces trois
études comprenaient une étape de screening centralisé afin de confirmer le diagnostic de
cancer moléculaire apocrine par IHC (triple négatif et RA positif) puis une étape d'inclusion à
proprement parler. Les critères d'éligibilité dans ces trois études étaient très similaires parmi
lesquels: patientes présentant un cancer du sein métastatique, ayant reçu ou non une ou
plusieurs lignes de chimiothérapie préalables. L'objectif primaire de ces trois études était le
taux de bénéfice clinique (pourcentage de patientes présentant une maladie stable à 4 ou 6
mois ou une réponse objective). Dans la première étude réalisée aux Etats-Unis, les
patientes ont été traitées par bicalutamide
. Le taux de bénéfice clinique à 6 mois est de
19% (5/26 patientes évaluables; IC 95%: 7-39%). Dans une étude internationale récemment
présentée à l'ASCO, les patientes ont reçu un traitement par enzalutamide
. Le bénéfice
clinique à 4 mois (objectif primaire) est de 35% (26/75 patientes évaluables; IC 95%: 24-
46%). Le bénéfice clinique à 6 mois est de 29% (22/75; IC 95%: 20-41%). Deux réponses
complètes (RC) et 5 réponses partielles (RP) ont été observées. Dans une étude de
l'intergroupe français UCBG, les patientes ont reçu un traitement par acetate d'abiraterone et
prednisone
. Le bénéfice clinique à 6 mois est de 20.0% (6/30; IC 95%: 7.7-38.6%) dont
1 réponse complète qui persiste à 28 mois et 5 stabilisations de plus de 6 mois (une
stabilisation à 6 mois est devenue une réponse partielle; la patiente est toujours sous
traitement à 20 mois). D'un point de vue clinique, il est important de signaler que 5 patientes
sont toujours en cours de traitement (6.4+, 9.2+, 14.5+, 20+, 28+ mois). Dans ces 3 études
le traitement hormonal était bien toléré.
Perspectives